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ARRANGEMENT DES BEATLES PAR BERIO EN 1967

En 1967, deux ans après leur écriture, le compositeur italien Luciano Berio arrangeait trois chansons des Beatles, Michelle, Ticket to Ride et Yesterday.

Souvent, les compositeurs contemporains sont perçus comme des auteurs des musiques ésotériques pleines de fausses notes dont la production est inaccessible aux simples mélomanes mortels.

Mais "musique contemporaine" ne veut rien dire, ce n'est pas un style, et il n'y a jamais eu autant de musiques diverses écrites par des compositeurs d'aujourd'hui.

Et les meilleurs d'entr'eux (Luciano Berio étant incontestablement le compositeur italien majeur des années 60 -80) ont fait parfois des digressions, comme ici.

Il faut préciser que Berio était déjà conscient des limites de l'expression du langage contemporain à son époque, qu'il a tenté d'élargir à la fois par un regard vers les musiques traditionnelles (ses Folk Songs, données en création par son épouse, la chanteuse américaine Cathy Berberian), comme par la revisitation du grand répertoire, notamment dans sa géniale Sinfonia (1968), oeuvre majeure dont le troisième mouvement "In ruhig fliessender Bewegunge" reprend massivement les éléments du troisième mouvement de la Deuxième symphonie de Mahler, auquel il emprunte également son titre (qui signifie « En un mouvement tranquille et coulant »). Ici, Berio fait une incursion amusante dans la naissante musique pop-rock, reprenant ces titres devenus immortels, mais les relisant dans un style baroque. Berio fait montre d'une grande maîtrise du vocabulaire baroque, ainsi que de ses formes, et ce renouvellement, ce vis-à-vis inattendu qui estompe les frontières entre musique "légère" et "sérieuse" - convention qui s'est érigée en murs artificiels par la fossilisation de l'une et la commercialisation à outrance de l'autre.

Et ces revisitations conduisent le compositeur à une ultime version de Michelle (Michelle II) qui est loin des rivages baroques, introduisant des éléments du langage propre au compositeur, mais maintenant le lien avec l'original (la mélodie de Lennon/McCartney reste bien audible et reconnaissable) ainsi qu'avec d'autres langages musicaux. Cette conscience de la tradition, le jeu fertile avec elle, est en quelque sorte une signature de la musique contemporaine italienne, avec notamment Salvatore Sciarrino qui opère constamment sur les marges de la perception, introduisant des références explicites ou subtiles aux grandes oeuvres du passé ou, dans la jeune génération, Francesco Filidei qui, dans son oeuvre Fiori di fiori conçue comme hommage aux Fiori musicali de Frescobaldi, insère comme un palimpseste les éléments du célèbre recueil du baroque vénitien, tantôt apparent, tantôt comme structurant l'oeuvre en arrière-plan. On peut dire de manière générale que, plus sensibles à la matière sonore, à la prégnance immédiate du son et à la composante vocale de la musique, les compositeurs italiens modernes et contemporains ont mieux échappé aux dogmatismes qui sclérosent toute musique, mais en gardant ce souci constant du renouvellement et de la nécessité de négocier le seuil de la modernité de multiples façons. Il en résulte des musiques qui rejoignent l'auditeur, aussi radicales soient-elles parfois, et qui demeurent surtout.